Métiers, salaires, conditions de vie , vêtements, alimentation etc. au cours de ce passé riche de découvertes ! Top 1 des mes articles lus : le certificat d'études, l'école, les bébés Top 2 les logements et salaires Top 3 les métiers N'hésitez pas à me laisser des commentaires, je répondrais avec joie
11 Juin 2012
L'épicier vendait aussi la plupart des confiseries, parmi lesquelles, au temps de Boileau, les conserves de roses violes, le sucre, rosat, le pied de chat; le pas d'âne, les dragées, le pignolat et le jus de réglisse. Il leur était enfin loisible de débiter les produits pharmaceutiques dits étrangers, tels que le Mithridate, l'alkermès, l'hyacinthe et la thériaque, mais à condition de les faire visiter au préalable par le bureau des « apothicaires-épiciers ».
Ce sont les successeurs de ces mêmes épiciers qui vendent aujourd'hui le sucre, l'huile et le vinaigre, les chocolats, cafés, thés, pâtes et riz, le poisson sec et salé, les conserves de fruits, de viandes et de légumes, les œufs et les fromages, les vins et les liqueurs, la volaille et le gibier, sans parler- des huiles, pétroles ou essences d'éclairage, et dont on peut dire, depuis que les principaux d'entre eux ont abordé la viande, les fruits et les légumes frais, qu'ils embrassent, à l'exception du pain, la totalité de l'alimentation.
La révolution commença vers 1840 dans une boutique du Gros-Caillou où M. Bonnerot, fut l'initiateur de l'épicerie moderne. L'ancienne était alors, il faut bien l'avouer, un commerce absolument malhonnête dont peu de gens ont gardé le souvenir. On fraudait beaucoup sur la quantité de tous les articles, grâce à la connivence des domestiques dont la gratification du « sou pour livre » n'était pas le seul profit illicite. En ce temps-là les pains de sucre ne pesaient jamais leur poids, et l'huile à brûler était le sujet d'opérations machiavéliques : à la servante qui venait chercher 10 kilos d'huile dans un bidon on n'en livrait communément que 8.
M. Bonnerot imagina de livrer exactement ce qu'il facturait et de vendre à très petit bénéfice. Ce fut le principe de la « gâche », ainsi nommée parce que les autres épiciers, furieux, traitèrent ce faux frère de gâcheur du métier et son système de gâchage des prix. La « gâche » obtint un succès rapide. Le public voyait un libérateur dans cet homme qui, de sa seule autorité, réduisait si audacieusement des chiffres auxquels on s'était depuis longtemps résigné. Le magasin nouveau offrait l'aspect d'un perpétuel déballage au milieu d'un désordre singulier. Aucun luxe, aucun confortable, ni pour le personnel qui prenait ses repas debout, sur des caisses vides en guise de tables — il n'y avait pas de chaises, ni pour le client entre les mains de qui les objets étaient remis, enveloppés à peine, mal conditionnés souvent et parfois de qualité assez médiocre.
C'était le défaut de ce réformateur imparfait. M. Bonnerot, disait un de ses anciens commis devenu plus riche que le patron, « n'avait pas le sentiment de la bonne marchandise ». Il se laissait prendre à l'appât du bon marché. Au contraire, son émule,
M. Potin, plus tard son continuateur, répétait sans cesse : « De la bonne marchandise d'abord, le bon marché après. » Félix Potin, fils d'un petit cultivateur d'Arpajon (Seine- et-Oise), qui rêvait de faire de son héritier un notaire, avait vingt-quatre ans lorsqu'il s'établit à Paris, en 1844, après avoir lâché les inventaires et le papier timbré de l'étude provinciale dans laquelle il languissait depuis sa seizième année. Une vocation irrésistible le poussait vers l'épicerie, métier d'ailleurs aussi ridicule sous Louis-Philippe que l'avait été la « nouveauté » lors des « calicots » de la Restauration. Le bon sens public a de ces divinations.
Chacun des deux conjoints apportait en ménage une dizaine de mille francs. C'était bien peu, semblait-il, pour les visées ambitieuses du mari, mais le besoin d'un grand fonds de roulement ne se faisait pas sentir. Tout au plus l'épicier d'alors fabriquait-il lui-même sa chandelle; pour tout le reste il renouvelait presque au jour le jour son assortiment dans le quartier des Lombards, chez les droguistes, marchands de gros et de demi-gros qui florissaient en ce temps et auxquels les rouliers, messagers et diligences apportaient seuls des stocks. Le jeune Potin, qui faisait ses achats en personne pour éviter l'intermédiaire onéreux des courtiers, revendait presque au prix coûtant. Pendant six ans il usa de ce système, gagna fort peu, mais se fit beaucoup connaître. Si bien qu'en 1850, plein de confiance dans l'avenir, il osait prendre rue du Rocher la suite d'une épicerie plus importante. Elle avait pour maître ce M. Bonnerot dont il vient d'être parlé, qui avait émigré sur la rive droite, et elle avait été baptisée par le public du nom d' « Association », peut-être parce que l'éclatant uniforme porté par les garçons lui donnait un caractère semi-administratif.
Dès la première année, le nouveau propriétaire arriva au chiffre de 3 000 francs d'affaires par jour. La création des chemins de fer favorisant les relations avec le dehors, il s'appliqua à introduire les articles étrangers, inconnus ou peu usités en France, partant très coûteux jusque-là. Il aborda ensuite son projet favori, devenu la clé de voûte du nouveau commerce, consistant à se faire lui-même fabricant afin de pouvoir vendre à meilleur compte des produits meilleurs. Il commença par le chocolat : pendant sept ans, dans un hangar situé au fond de sa cour où il avait installé un embryon de manufacture, il fit manœuvrer lui-même sa broyeuse à cacao. Ce laborieux avait une idée très haute de sa profession :
Potin avait, comme Bonnerot, l'idée de chercher le succès dans la réduction des prix de vente, mais sans prétendre restreindre tout d'abord les prix d'achat. Ce qu'il sacrifia, ce fut son profit commercial, fidèle au programme qu'il s'était tracé... En tout cas, il a réussi!! j'ai en mémoire ce slogan Félix Potin, on y revient.... que la jeunesse de 20 ans ne connait pas.
texte de 1905